J-70 : L COMME L'HUISSIER A-T-IL UNE AME ?

Publié le par jaimepasladroite

Je sais que ce billet n’a rien à voir avec l’esprit de ce blog mais parfois, il faut savoir exprimer des remuements ou des indignations autres que strictement politiques, encore que rien n’échappe tout à fait à cette dernière sphère à mon sens.

 

miniatureJe viens d’entendre une histoire humaine triplement atroce, sur France Info. Un huissier vient d’être jugé pour « Non assistance à personne en danger ». Ledit huissier, venu pour expulser de son logement un homme de 36 ans pour défaut de paiement, tombe sur le locataire qui s’est pendu. Il appelle la police qui lui dit de ne toucher à rien. Alors le brave huissier s'exécute. Il ne touche à rien. C’est-à-dire même pas au pendu qui, lorsqu’arrivent les secours, est toujours vivant. Mais pas pour longtemps puisqu’il décède quelques heures après. Si l’huissier avait dépendu le désespéré, ce dernier serait peut être toujours de ce monde. Mais un huissier, homme qui se doit de faire exécuter la loi, est forcément quelqu’un qui place le respect de l’ordre au dessus de tout, quitte, dans le cas qui nous occupe, à prendre le risque de sacrifier un humain.

 

L-huissier-de-Justice--2-.jpgMais à quoi peut bien ressembler l’intérieur d’une tête d’huissier ? D’ailleurs, et c’est un bon sujet à proposer à la réflexion philosophique des bacheliers, l’huissier a-t-il une âme ? Ou une conscience ? Pendant des siècles on s’est posé la question de savoir si les femmes, les noirs, des Indiens, les animaux avaient une âme. Alors pourquoi ne pas étendre la question aux huissiers. Certes, d’aucuns me répondront que l’« âme » et la « conscience », ce n’est pas pareil. Mais l’expression « en mon âme et conscience », tirée du vocabulaire judiciaire ne lie pas sans raison les deux.

 

Que s’est-il passé dans la tête de ce vertueux représentant de la Loi ?

 

L-huissier.jpgAu-delà de la cruelle réalité, on se retrouve au cœur d’une métaphore : celle de l’étranglement. Etranglement financier d’abord. Le nœud financier étant trop serré, le pauvre endetté décide d’illustrer par l’exemple l’expression « se passer la corde autour du cou ». Après la métaphore, on entre dans les subtilités de la grammaire française, à savoir la différence entre le verbe transitif « saisir » et sa forme pronominale : « se saisir ». Face à cette situation, l’huissier pouvait choisir, en toute conscience juridique (1) de « saisir » la corde afin que le prix de sa revente indemnise le propriétaire ou puisse servir à d’autres désespérés ; ou en toute conscience humaine (2), « se saisir » de la corde pour tenter de sauver le pauvre homme. Dans les deux cas, ce dernier pouvait être sauvé. Mais à l’évidence, ni la conscience professionnelle ni la conscience individuelle ne lui ont permis de prendre la bonne décision. En pleine irrésolution, dans l’incapacité de pouvoir trancher ce nœud gordien, il ne restait plus à l’huissier qu’à s’en remettre à un ordre supérieur, celui de l’auctoritas policière.

 

HUISSIER.jpgLes humanistes intégraux tenteront sans doute de trouver quelque excuse à l’huissier. Après tout, peut-être était-il si bouleversé que son esprit de décision s’est trouvé comme hébété, inerte. Les pragmatiques ou les pratiques quant à eux pourront me dire que le corps à dépendre d’un homme dans la force de l’âge, c’était peut-être trop lourd pour un pauvre huissier de 60 ans. Ce à quoi je leur répondrai sans ironie que c’est bien pour ça que moi, je suis pour la retraite à 60 ans.

 

Enfin la titulature permet de s’interroger sur l’homme et la raison d’être de sa fonction. Le titre exact est « Huissier de justice ». Mais on peut à bon droit se demander : « Justice pour qui ? ». Tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre, tant il est vrai qu'on peut être amené, pour de très bonnes raisons, à faire appel à un huissier. Le gentil de l'un est le méchant de l'autre en certaines circonstances et inversement dans d'autres. Mais ceci pose un double problème  : (i) La justice ne « serait » donc que parce qu’elle est alternative ? (ii) La force de la loi doit-elle s'appliquer avec la même rigueur égalitaire lorsqu'elle s'exerce à l'encontre des faibles et des démunis ?

 

HuissierJaimes11.jpgOui, cette histoire est triplement atroce. Elle raconte la misère économique ; elle raconte le désespoir ; elle questionne la frontière ténue qui sépare l’être humain du monstre, de l’indifférent ou de l’irrésolu. Elle pointe de la langue et non du doigt une certaine logique, sinon une justification, à trouver dans l’hybridation sémantique qui caractérise la langue française dans laquelle on peut « Exécuter la loi » comme on peut « exécuter un homme » et être un « exécuteur testamentaire » comme un « exécuteur des basses œuvres ». Comme on le voit, la mort n’est jamais très loin de l’homme de loi.

  

Mais après tout, tel l’œil qui regardait Caïn jusque dans la tombe, peut-être que l’huissier n’aura plus jamais une seule nuit tranquille, torturé par un geste posthume figé dans une conjonction qui introduit obligatoirement quelque chose d’imparfait : « Ahhh... Si j’avais... ».

 

C’est tout le bien qu’on lui souhaite. Et les bacheliers pourront ainsi illustrer la thèse ou l’antithèse de leur dissertation philosophique.

 

 

J’aime pas les huissiers.

 

 

generique fin

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P
Je suis sous perfusion Inter et Info, mais j'avoue être passé à côté de cette information. J'avoue que le manque de curiosité de cet huissier me sidère. On n'est maintenant tellement habitués aux<br /> séries policières, avec leurs scènes de crime, qu'on n'ose plus toucher à rien.<br /> Mais ce qui est sidérant aussi, c'est justement l'absence de curiosité du policier, qui aurait pu simplement poser la question de savoir si le pendu était mort, ou à l'agonie, ce qui n'est pas du<br /> tout la même chose.<br /> Bref, une incompréhension totale à tous les niveaux.<br /> Voilà ce qui s'appelle respecter les procédures, dans un monde totalement formaté, certifié ISO 9000 ou 14 000, avec un principe de précaution qui tend à se constitutionnaliser...
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J
<br /> <br /> Oui, c'est bien le mot : sidérant ! Cette info m'a anéantie.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Le plus étonnant c'est qu'il a appelé les flics avant les secours !!!<br /> C'est dire son esprit d'esclave....<br /> <br /> Vive la désobéissance !!!
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J
<br /> <br /> Je me suis fait exactement la même remarque. Il faut dire que le 17, c'est avant le 18... Peut-être un huissier fainéant...<br /> <br /> <br /> <br />