J-50 : P COMME PHENOMENE MELENCHON
Le monde médiatique s’étonne, est en émoi, s’interroge. Il ne s’explique pas le « phénomène Mélenchon ». A force de scruter l’homme-arbre, cette vision à court terme masque la forêt des idées qu’il porte et surtout cette formidable force militante qui le soutient, je dirai même ce substrat de la gauche française profonde, que seule son histoire politique et ses évolutions peuvent expliquer. Et si les journalistes un peu curieux faisaient mieux leur boulot, ils s’étonneraient un peu moins.
Peu portée, de par sa nature et sa culture politique, au culte de la personne et à l’idolâtrie aux relents fascisants, cette gauche-là ne s’est pas réveillée tout d’un coup Mélenchonniste. Tout de même ! Peut-on croire que le Front de Gauche est né ex-nihilo ? Ex-abrupto ?
Il est assez intéressant (et je m’en amuse souvent) d’écouter les commentateurs bien établis faire le constat que sans le Parti Communiste, ses assises locales et son « appareil » militant, le Front de Gauche n’aurait pu mener la si belle campagne qu’il mène actuellement. C’est d’autant plus étonnant que les mêmes passent leur temps à proclamer la mort du communisme en France qui ne serait qu’une coquille vide, dont il ne resterait qu’une poignée de militants vieillissants et staliniens. Il faudra donc que l’on m’explique comment une ossature aussi efficace peut porter un corps qui n’existe pas et tout ça sans argent.
C’est que les commentateurs, comme bon nombre de concitoyens bien forcés de les écouter parce qu’ils sont partout, à force d’avoir le nez trop près des courbes des graphiques et des résultats à l’élection présidentielle, en ont oublié d’interroger la sociologie et l'histoire politiques. Ils ont des étonnements sporadiques qui montrent au mieux un formidable manque de culture, au pire un déni partisan qui relève d’un vieil anticommunisme primaire.
N’ont-ils vu que comme un prurit résiduel la formidable mobilisation qui a jeté dans la rue trois millions de protestataires contre la réforme des retraites en 2011 ? Il fallait bien que ces gens-là sortent de quelque part... Et les 60 % de Français qui les soutenaient dans les sondages n’avaient pas tous le couteau entre les dents.
Les communistes ont entamé une mutation. Mais cela, qui veut réellement le voir ? Les clichés ont la dent dure, et la caricature tient souvent lieu d’argument à leurs détracteurs. Les étonnements et les ricanements de Laurent Joffrin (cf. une « gauche du XIXe siècle » « rétro sympathique » ) quand il parle du Front de Gauche, devraient pourtant déboucher sur cette réflexion : comment se fait-il qu’au XXI siècle, en France, la gauche incarnée par le Front de Gauche est aussi vivace, tenace et populaire ? C’est une véritable problématique historique et politique qu’engage cette question. Mais s’il se la posait vraiment, il ricanerait peut-être moins.
Tous ces gens rassemblés au sein du Front de Gauche forment une famille cohérente dans ses valeurs et historiquement ancrée. Il existe bel et bien toujours en France une gauche révolutionnaire, une gauche de combat, une gauche radicale qui se revendique de ses héritages révolutionnaires, qui ne s’accommode pas des déviances libérales du Parti socialiste. La langue française, qui joue si bien de la polysémie, illustre parfaitement avec le verbe « gauchir » la mutation idéologique du PS. Je rappelle que le mot « gauchir » signifie : (1) « perdre sa forme, se contourner » (2) « se détourner de la position qu’on a, de la route qu’on suit ». Et dans une autre acception : (1) « Altérer, déformer, fausser ». Politiquement, le PS ayant révoqué le dernier sens (« infléchir vers la gauche ») pour poursuivre sa complète mutation en force d’accompagnement du libéralisme - et qui devrait songer d’ailleurs à changer le nom de son parti, le socialisme n’étant plus le socle idéologique qui le porte -, il faut bien que la gauche soit quelque part.
Cette expression : « la gauche de la gauche » m’énerve au plus haut point. Comme s’il y avait une « gauche-socle », un mètre étalon de la gauche mesuré à l’aune du PS ! De même qu’il y a DES droites en France, il y a également DES gauches. Et si les valeurs que porte le Front de Gauche ont autant de résonnance, c’est peut-être aussi qu’elles touchent les couches profondes de ce peuple français si imprégné de culture politique qui a su montrer tout au long de son histoire, intellectuellement ou autrement, la vigueur des idéaux auxquels il est attaché. Mélenchon en est le formidable porte-voix. Il n'y a là rien d'opportuniste. Il était tout simplement logique - qu'on s'intéresse un peu plus à ses référents pour le comprendre - qu'il les portât.
Ma théorie est que comme ces espions dormants qui reprennent du service en cas de coup dur, il existait dans la population des communistes dormants qui se sont réveillés de leur torpeur, et des français tout simplement qui renouent avec les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité qu’un PS, les pieds englués dans le bourbier libéral, et une droite réactionnaire ont gommé du frontispice moral qui constitue notre identité.
Du fond des profondeurs de notre Nation, le peuple sent son cœur battre à nouveau à gauche. Les journalistes, les politiques, les analystes ayant pignon sur rue feraient bien de se pencher un peu plus sur ce qui, loin d’être un frémissement, est une vague surgie des profondeurs de notre histoire et qui pourrait bien se transformer en raz-de-marée. Car quand cette gauche-là se réveille, elle cogne dur.
J’aime vraiment pas la droite, c’est vrai. Mais j’aime vraiment pas non plus ceux qui balaient d’un revers de mots ce que porte le Front de Gauche. Nous gommer sur le papier ou en parole ne nous fera pas disparaître. Qu’ils se le tiennent pour dit.
